1996
JOURS ORDINAIRES AU MOKATTAM (Jean-Paul Cathala)
Depuis longtemps nous souhaitions proposer aux jeunes spectateurs un travail lié à l'Afrique et qui
parlerait de certaines réalités de ce continent tellement cher à mon cœur. Très vite a surgi l’idée des
chiffonniers du Caire. Je me souviens parfaitement de l’enthousiasme de Noël Camos.
Ces chiffonniers, en majorité coptes, sont plus de 40 000 à vivre de et dans les ordures de cette ville
géante du Caire, et répartis dans six bidonvilles de la périphérie. L'un de ces bidonvilles s'appelle
MOKATTAM (la montagne cassée). C'est là que se situe notre action.
Cette pièce est joyeuse : ce n'est pas parce qu'on parle de la misère, qu'il faut être triste. Ce n'est pas
parce qu'on est dans la misère qu'on ne sourit jamais (dixit sœur Emmanuelle). Elle est aussi
fantastique (dans le sens où un film peut être fantastique). En effet, il arrive que dans les ordures on
fasse d'étranges rencontres... Rappelons simplement que nous sommes en Égypte et que ce pays est l'un
des plus anciens et des plus mystérieux au monde.
Voici l'histoire (en très bref) : Nourredine et sa sœur Jasmina vivent au Mokattam. Bien qu'orphelins,
ils ont les conflits, les espoirs, les déceptions et les révoltes de tous les adolescents du monde.
Seulement voilà : surgit un touriste anglais égaré dans le labyrinthe des ordures (n'oublions pas que
l'Égypte fut longtemps sous domination anglaise). Le face à face est cocasse, dérangeant et révélateur
d'un autre face à face : celui de ceux qui ont tout et de ceux qui n'ont rien.
Plus tard Jasmina extirpera des ordures une momie fort énergique et qui connaît par cœur toutes les
légendes d'Égypte...
Dans ce climat de mystère, de réalité, de doute, tantôt âpre, tantôt drolatique, Jasmina et Nourredine
vont retrouver un peu de leur identité flottante. Mais n'est-ce pas le désir de chacun : savoir d'où l'on
vient, qui l'on est, où l'on va ? Alors, où est la différence entre eux et nous ?
Par sûreté j’avais envoyé le texte à sœur Emmanuelle. Nous nous sommes parlé au téléphone : elle m’a
fait une seule remarque : au Mokattam, grâce à ses vingt ans d’efforts, il y a une belle école. En effet je
disais dans le texte qu’il n’y en avait pas. J’étais mal renseigné. À un moment du dialogue je lui ai fait
part de ma non croyance, elle a ri et me dit de sa voix si particulière : « Tant mieux, comme ça on ne se
disputera pas ! »
DISTRIBUTION :
En dehors de Philippe Audibert (Nourredine) et Christophe Montrose (la momie), la distribution fut
souvent renouvelée.
Ainsi Jasmina fut interprétée par Blandine Aubally, Muriel Laval, Marion Jamet, Isabelle Poulain.
Quant à l’anglais un peu balourd, ce fut tour à tour Noël Camos, Jean-Pierre Rigaud, Nicolas Marty.
De même il y eut deux décorateurs : Jean-Baptiste Cleyet et Denis Charrett-Dykes
Par contre la musique de Pierre Margot fut toujours la même.
Tout comme les costumes de Laure Vézia.
Pour accompagner la pièce, une exposition sur le Mokattam et les enfants chiffonniers du Caire
BÉRÉNICE D'ÉGYPTE (Andrée Chedid / Mise en scène : Jean-Paul Cathala)
De Discussion en discussion, avait surgi l’idée de ce que nous appelions entre nous : un « chantier
théâtral », c’est-à-dire une pièce tout public et une pièce jeune public sur un thème voisin soit par la
forme, soit par le fond, ce qui nous permettrait de rester une semaine par exemple dans la même ville,
de faire des contacts, de créer des liens, d’engager des figurants et, pourquoi pas, de découvrir parmi
eux quelque prochain artiste ?….
Depuis longtemps je lisais Andrée Chedid. Sa poésie, ses romans. J’avais une réelle admiration pour elle
qui depuis s’est transformée en une grande amitié et aujourd’hui en chagrin et manque car, entre nous,
nous allions au fond des choses.
Andrée a écrit un chef-d’œuvre : « Néfertiti et le rêve d’Akhenaton ». Pat O’ Bine et moi rêvions d’en faire
un spectacle où je jouerais le scribe et elle, danseuse fragile et forte, Néfertiti. Je rencontre Andrée chez
elle, à Paris, et tout de suite s’est installée une complicité évidente. Mais elle refuse toute adaptation de
son texte qui perdrait de sa lenteur d’eau et de sable s’écoulant. Et d’emblée elle me propose une pièce
d’elle jamais jouée : Bérénice d’Égypte (Flammarion).
A l’IMEC, où elle dépose tous ses manuscrits, je découvre un prologue inédit d’une très grande beauté de
langue théâtrale.
Après des discussions abondantes de la troupe (il faut être 16 plus une figuration) je soumets à Andrée
l’idée de restaurer ce prologue et je suggère quelques coupures. Elle approuve tout et nous nous mettons
au travail.
Nous avions notre chantier :
Jours Ordinaires au Mokattam pour le jeune public
Bérénice d’Égypte pour le tout public
Je passe la recherche de comédiens extérieurs à la troupe : un calvaire.
Laure Vézia s’attèle aux costumes (il y en a près de 80) Pierre Margot à la musique (elle sera sublime,
nous en ferons un CD) et Jean-Baptiste Cleyet au décor. Je ne sais pas ce qu’il en pense aujourd’hui, mais
c’est le plus abouti qu’il ait réalisé du moins pour notre équipe. De même pour l’affiche.
Les répétitions sont longues, hésitantes. Il y a derrière ce texte certes les années 60, mais quelque chose
de plus complexe : la poésie tout à fait personnelle d’Andrée qui fera que les critiques ne sauront rien y
« reconnaître », ce qui représente un grand désarroi évidemment.
Murielle Magellan joue Bérénice. Elle m’a été recommandée par Éliane Latu.
Andrée Chedid nous a rejoints au théâtre de Brives. Elle était bouleversée de voir sa pièce enfin
représentée et surtout l’accueil du public : debout pour l‘acclamer longuement. Aujourd’hui ce texte
résonne violemment au vu de ce qui se passe là-bas : une très jeune femme au pouvoir et qui veut
instaurer la démocratie… Et qui, évidemment, sera assassinée…
Flammarion a eu la très grande amabilité de nous permettre d’éditer le texte avec le nouveau prologue.
Après une belle tournée où chaque fois il fallait former de nouveaux figurants, nous avons fait une
longue série au festival d’Alba la Romaine qui n’avait jamais vu autant de monde !
Plus tard, Andrée nous fera le très grand honneur d’écrire pour nous et sur nous des poèmes qui sont
autant de flammes brûlant dans la nuit en hommage au théâtre et aux comédiens. Tous les comédiens.
J’ajoute ici le texte de présentation que j’avais écrit à l’époque. C‘était avant les révolutions au Maghreb :
À l'évidence, l'œuvre d’Andrée Chedid est une œuvre "épique". Tout au moins, la structure en 24
tableaux, le traitement à grands traits des personnages, l'écriture limpide et forte, ce quelque chose de
picaresque, l'universalité - dans le temps et l'espace - du thème invitent à un traitement populaire, large,
foisonnant, musical. C'est une œuvre qu'on a envie de partager avec un très large public. Comme un
oratorio profane et moderne qui renvoie à nos actualités et à nos permanences.
Seize comédiennes, comédiens, apprentis acteurs se partagent les rôles.
La scénographie s'inspire des villes étranges d'Éthiopie ou des médinas d'Afrique du nord. Un ample
mur de terre trouée. Des escaliers, des couloirs... Une belle anarchie d'architecture.
Les costumes, tout en ayant un "ton égyptien", plus précisément Ptolémaïque (grec) ont des citations
contemporaines. Sous les soldats de Pharaon sont les universels paras d'aujourd'hui. Sous les hardes
des pauvres sont les pauvres de notre époque.
Andrée Chedid nous parle à l'évidence d'ici et de maintenant. La fable ancienne n'est là que pour nous
rendre lisible notre vie présente. Cet "effet de distance" que procurent temps et espace n'est ni pour
l'exotisme, ni pour une vision romantique de l'Orient, ni pour faire "grand spectacle", mais pour nous
induire à mieux comprendre et sentir l'histoire, la culture de ces peuples en guerre à nos portes depuis
si longtemps ; ces pays pris dans des contradictions historiques considérables qui dégénèrent fatalement
en conflits raciaux, religieux.
Andrée Chedid, a toujours le regard tourné vers ces Orients tumultueux et blessés. Femme, elle est
solidaire du sort de ses sœurs dans ces pays-là. Alors, une femme au pouvoir comme au Pakistan ou aux
Philippines... Et c'est précisément Bérénice à qui succédera une autre femme, Cléopâtre. Cette Bérénice
tentera une espèce de démocratie. Trois ans. Le temps d'un songe. Pour un pareil regard d'écrivain, il
faut le traitement ouvert et différent que nous proposons.
DISTRIBUTION :
Néchoude (L'homme-tronc) : Jean-Paul Cathala / L'enfant : Philippe Audibert / Bérénice (fille de
Ptolémée Aulète) : Murielle Magellan / Archélaos (époux de Bérénice) : Pierre Margot puis
Guillaume Orsat / Cléopâtre (sœur de Bérénice) et La Comédienne : Muriel Laval / Ptolémée Aulète
(pharaon) : Noël Camos / Dion (ambassadeur d'Alexandrie à Rome) et Aeschines (envoyé de Rome)
: Marcel Gaubert / Psheréni (grand-prêtre) et Le Vieillard : Christian Marc / Démétrius (homme de
lettres) ; Le Prisonnier et Nicagoras (capitaine de vaisseau) : Jean-Pierre Rigaud / Seleucos
(prétendant de Bérénice) ; Le Paysan et Le Barbier : Jean-Michel Ropers / Le Comédien ; Le
Régisseur et Tanis (garde du palais) : Christophe Montrose / Myrtion : (courtisane) : Pat O'Bine /
Aesclapias : Laure Vézia / La Nourrice : Josy Miquel / Isias : Blandine Aubailly / Ganymède
(eunuque muet) : Jean-Manuel Vardasca
Décor et Affiche : Jean-Baptiste Cleyet
Costumes : Laure Vézia / Sonia Sivel
Musiques : Pierre Margot
Réalisation des masques : Jean-Pierre Rigaud
Nous réalisons une exposition de 30 panneaux retraçant le parcours de 30 années de compagnie qui
nous était réclamée par les spectateurs qui venaient régulièrement assister à nos spectacles. Une façon
aussi de faire le point sur notre parcours.
TOUJOURS EN 1996
La pièce a été créée en 1995 et a dépassé les 400 représentations. Nous souhaitions la garder au
répertoire, mais les derniers évènements Égyptiens…
www.jeanpaulcathala.com © Mention légal 2013 - 2019