1990
DOM JUAN (Molière / Mise en scène : Jean-Paul Cathala)
Claude Alranq, légende du théâtre occitan, fondateur du Théâtre de la Carriera, écrivain, metteur en
scène, agitateur politique et ami, se retrouve comme vacant. Nous nous connaissons depuis très
longtemps (il était venu avec sa troupe, jouer à la Sorbonne en mai 68). Nous pensons à peu près les
mêmes choses dans les mêmes circonstances et sur les mêmes sujets. De plus, nous savons l’un comme
l’autre que si le théâtre ne peut en rien changer le monde, il peut au moins y contribuer et que, par
ailleurs, si le théâtre ne va pas au plus près des territoires, il reste, quelle que soit ses qualités, un
théâtre élitaire, pour ne pas dire bourgeois.
Claude habite depuis toujours Pézenas, ville Moliéresque s’il en fut. Je lui propose le rôle de Sganarelle.
Il a la truculence, le savoir-faire, le génie comique tels qu’on peut l’imaginer de Molière. Il hésite à
peine. Les répétitions sont actives, parfois tendues, pas entre lui et moi, car nous nous accordons sur
tout.
En effet les points de vue se rejoignent sur l’essentiel. Le fameux « ciel » qui punit Dom Juan est une
faribole et un cache sexe. Dans ma mise en scène, ce sont des moines rouges affublés de têtes de mort
qui liquident Dom Juan d’un coup de pistolet.
Sganarelle, c’est Molière lui-même en provocateur faussement naïf mais par force soumis à son maître
(ici le prince de Conti).
La célèbre scène du « repentir » de Dom Juan est une authentique lettre reprise telle quelle du prince de
Conti à son confesseur. Tout le monde sait que ce prince (second du royaume) était un libertin de
grande envergure. Pas étonnant que l’œuvre ait été immédiatement interdite. De même la scène où
Elvire, femme sensuelle et éprise revient en pardonnant tout au libertin, de fait, dans notre spectacle
elle est encadrée par deux religieuses interprétées par deux comédiens costauds.
Les analyses savantes qui soupçonnent le tombeur de ces dames d’homosexualité, eh bien oui, le
toujours prince de Conti était pour le moins bisexuels. Dans notre spectacle il est perpétuellement
accompagné de deux nervis fort séduisants. Certes Molière ne jugeait pas la chose, lui qui était
dépourvu de tout préjugé de cet ordre, mais il jugeait l’homme qui ne l’assumait pas et faisait souffrir
les femmes. Une des comédiennes de l’illustre théâtre, lorsqu’ils se produisaient à Pézenas pour Conti
avait d’ailleurs été ainsi séduite puis abandonnée.
Une fois de plus Molière se nourrit là de sa vie et de son temps mais cela vaut pour tous les temps. C’est
son génie et Claude et moi nous accordons parfaitement sur ce point.
En fin de spectacle, lorsque Sganarelle pleure sur ses gages, on voit les moines rouges qui viennent
d’assassiner Dom Juan disperser les manuscrits de Molière / Sganarelle.
Enfin, sur le plateau vide, avec le seul corps désarticulé de Dom Juan, les petites paysannes accourent
l’envelopper d’un drap très blanc, car, même ambigu, même incompréhensible, le désir demeure maître
du monde.
La complicité sur scène est évidente entre Claude et moi. C’est parmi les plus parfaits de mes souvenirs
d’acteur. Nous ferons une belle tournée et irons même jouer pour des universités à Berlin.
Dom Juan n’est qu’un mythe, bien sûr (d’où l’affiche de Jean-Baptiste Cleyet) mais un mythe qui
convoque l’imagination de Molière autant que ses souvenirs… et les nôtres.
LE CHANT DE LA CROISADE (Coproduction avec le "Gréca")
André Dion désire travailler sur la très belle traduction d’Henri Gougaud de « La Chanson de la
Croisade Albigeoise ». Ce texte écrit par Guillaume de Tudèle pour la première partie et par un auteur
anonyme pour la seconde, est en principe favorable aux croisés ennemis des Cathares. Les choix
d’André vont faire en sorte que le résultat apparaîtra comme étant du côté des « hérétiques ». La
musique est telle que je n’avais qu’à suivre la partition. Me laisser aller. La colère montait comme
malgré moi. Je sentais la révolte m’envahir aux larmes. C’est ainsi. Cet immense poème, fort bien écrit a
en lui des trouées d’indignation qu’André a parfaitement mises à profit. Les clercs qui ont écrit ce chef-
d’œuvre, bien que catholiques, sont tout de même indignés par le comportement des croisés de Simon
de Montfort. Et ils l’écrivent. En longueur.
Après les répétitions, l’enregistrement du disque, puis une tournée dans des théâtres, des rencontres
politiques, partout où ce texte risque de trouver une résonnance.
DISTRIBUTION :
Dom Juan : Jean-Paul Cathala / Sganarelle : Claude Alranq / Elvire : Christiane Dumont-Rouvière
puis Pat O’Bine / Dom Carlos, Gusman : Pierre Margot / Dom Alonse, Ragotin : Noël Camos / Dom
Louis, Sganarelle travesti en père : Piarrot / Le Pauvre : Jean-Pierre Rigaud / Charlotte : Bernadette
Boucher / Mathurine : Sylvie Cavaillé / M. Dimanche : Pierre Fernandès / La Violette : Jean-Philippe
Dupré / Le Commandeur : Une voix
Décor : Éric Gémon
Costumes : Laure Vézia
Musique : Charles Ives (La question sans réponse)
Affiche : Jean-Baptiste Cleyet
Bande électroacoustique : André Dion
Percussions : Laurent Cavalié
Voix : Jean-Paul Cathala
JACQUES PRÉVERT (Mise en scène : Jean-Paul Cathala)
Il ne fait pas partie de mes poètes de prédilection, mais ses « Contes pour Enfants pas Sages », plusieurs
poèmes de « Paroles » m’enchantent. Je propose à Jean-Pierre Rigaud de faire un montage de quelques-
uns de ces textes en les reliant par un texte de mon crû. Marc Peyret peint plusieurs toiles très cocasses.
Jean-Pierre soutient le défi sans problème. Il conclue même en chantant « Démons et Merveilles » des
« Visiteurs du Soir » guitare au poing.
À ce propos, je ne résisterai pas à une anecdote. J’habitais voici des lustres dans un tout petit
appartement haut perché boulevard de la Chapelle à Paris, c’est-à-dire à deux pas de la Cité Véron où
était mort Boris Vian et où habitait Prévert.
Par une indiscrétion d’un copain serveur à Pigalle et ancien élève de Chelles, j’apprends que chaque
jour, à heure à peu près certaine, le poète vient siroter un bon petit rouge. Je m’assieds à la terrasse,
j’attends et soudain il est là, clope au bec, les yeux globuleux comme voulant sortir de leurs orbites pour
courir après les passants, un chien dans les pattes. Je me présente sans façon, on discute, je le verrai là à
plusieurs reprises. Bavard ou très silencieux. Non pas tour à tour, mais en même temps.
Incompréhensible.
Un jour il me demande si j’aime sa poésie, je ne sais pas mentir et lui réponds que je préfère ses scénarii.
À peine dit, je regrette ce que je viens de dire. Il se ramasse sur lui-même, me considère, et prononce :
« Tiens ! » silence, puis « Je suis presque d’accord. Vous avez une voiture ? Pouvez-vous me conduire à
la Galerie Maeght ? Une exposition Miró pour qui j’ai justement écrit quelques poèmes. » Je ne savais
plus où me fourrer. Il reprend : « Les chauffeurs de taxi m’ennuient. Ils sont réactionnaires et
bavardent leur réaction. Des ânes prétentieux » C’est ainsi que grâce à lui j’ai pu rencontrer Miró,
Calder et quelques autres qu’il me présente. Il y avait du champagne, beaucoup et fort bon. Au retour,
nous avons chanté mais quoi ?…
DISTRIBUTION :
Le conteur : Jean-Pierre Rigaud
Toiles peintes : Marc Peyret
Soudain, la foudre nous frappe : Christiane Dumont Rouvière est au plus mal. Elle était malade, certes depuis longtemps et
nous le savions, mais nous nous disions naïvement que le théâtre allait la guérir… Enfin de ces choses qu’on se dit quand on
se retrouve face au monstre dévorateur de toute vie, même la plus pure. Et dire que nous avions en projet, elle et moi, de
graver un disque de poèmes. Elle était une Jocaste unique dans ses frémissements érotiques et ses douleurs de mère. Elle
avait réussi le tour de force de nous faire comprendre de minuscule touche en minuscule touche que Jocaste sait qui est
Œdipe.
Dans l’Elvire de Molière son désir de vie était sans cesse à fleur de peau. On ne rencontre qu’une fois dans sa vie pareille
actrice. Je veux dire on n’a qu’une fois la chance de travailler avec pareille maîtrise fragile. Nous lui dédierons notre salle de
théâtre.
Nous mettrons plusieurs semaines à nous décider à agir.
C’est Pat O’ Bine qui va reprendre courageusement les deux rôles. J’essaierai de lui faire oublier les interprétations de
Christiane et elle y parviendra. Elle sera parfaite dans les deux personnages si différents l’un de l’autre. Pat est le courage
même. Nous déciderons, comme pour effacer la douleur, de tourner en vidéo « Œdipe » une fois la tournée terminée.
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