Et c’est là, qu’ensuite de beaucoup de discussions, nous décidons de changer radicalement de manière d’être et peut-être de
vie, mais il s’impose à nous que nous devons bâtir un lieu répondant à nos besoins spécifiques de création, qui nous
appartienne totalement et où nous pourrions travailler sans aucune contrainte extérieure et surtout qui ne nous ferait plus
jamais dépendre de quiconque.
Comme je prospectais dans l’Aude, essayant de vendre quelques représentations, je finis par échouer à Lézignan-Corbières
où les écoles me claquent la porte au nez. Découragé, sirotant un fade café à une terrasse, un monsieur entame la
conversation. Je finis par lui parler de notre désir de lieu. Ce monsieur connaît le maire qui cherche à placer des terrains
municipaux. Nous rencontrons ce maire d’alors, Monsieur Soucaille, qui écoute sans broncher ma requête. Je le vois encore
venant à moi : « 13 francs le mètre carré, taux 0%, payable sur 10 ans. Cela vous conviendrait-il ? » Je l’aurais embrassé cet
homme-là.
Voilà comment ça se passe dans la vie vraie avec des gens vrais.
Vous imaginez les hurlements de mes amis quand je leur annonce la chose par téléphone ?
LA POÉSIE LA MORT L'HUMOUR L'AMOUR (Montage avec Marc Peyret)
Bien. Certains tournaient 1709, d’autres La chanson de Roland, ou Florelle, et moi, donc ? De discussion
en discussion avec Marc Peyret, je lui propose un montage : des poèmes contemporains
majoritairement et des chansons (dans des temps très anciens, à Paris, j’avais pratiqué un peu la chose).
S’y mêleront Michaux, Hikmet, Cocteau, Neruda, Trenet… Je vocaliserai même du Villa-Lobos et Marc,
par moments, jouera du Bartok.
Nous avons répandu ces semailles une bonne centaine de fois et nous étions très contents de nous. En
fait, contents surtout de notre complicité artistique et humaine.
LA BELLE AUX BOIS DORT-ELLE ? (Jean-Paul Cathala)
Le conte, comme le théâtre à l'Italienne, fonctionne en miroir. Il ménage des plans de profondeur, avec
les surprises, les trucs, la magie machinée du théâtre à l'Italienne. Ce que j'ai tenté de démonter par
l'écriture. Avec les décorateurs, nous avons décidé de la reconstitution d'un vrai petit théâtre à
l'Italienne avec son rideau, ses portants, frises et autres astuces. La salle a ses murs peints de fresques,
son lustre, ses clous dorés. 145 jeunes spectateurs mettront à l'épreuve, chaque jour, cette lecture
synthétique de notre tradition du théâtre occidental.
Mais voici que Shakespeare nous sourit encore, car on pense au "Songe d'une nuit d'Été", tout aussi
machiné, tout aussi enjôleur. Oh ! Je ne compare pas, bien sûr.
Naïma Bouanani est parmi nous pour quelques mois et accompagne la tournée pour une soixantaine de
représentations.
DISTRIBUTION :
Jean-Michel Ropers / Myriam Vialle.
Régie : Naïma Bouanani
Décors du plateau : Noël Camos.
Décors de la salle : Marc Peyret.
Costumes : Jean-Paul Cathala.
Musique : Jean-Pierre Rigaud.
LE JEU DE ROBINSON (Jean-Paul Cathala / Nouvelle mise en scène)
DISTRIBUTION :
Bernadette Boucher / Noël Camos / André Dion / Jean-Pierre Rigaud.
Décors : Jean-Paul Cathala.
Costumes : Bernadette Boucher.
Musique : André Dion.
EXPOSITION HOMMAGE AUX POÈTES DU XXème SIÈCLE
Nous étions dans le Doubs, la FOL nous avait organisé une tournée importante et nous avait logés dans
une sorte de château aux cuisines immenses, qui devait servir les étés à des stages, et je me retrouvais
seul, préparant de considérables paellas, ce qui n’est pas ma vocation première.
Je décide alors de bâtir une exposition des poètes du XXème Siècle sur de grandes plaques de
contreplaqué et faisant appel à toutes les techniques possibles : peinture, graphismes, inclusions, bas-
reliefs, collages, que sais-je. Les amis rentraient le soir et voyaient se développer la fresque poétique.
Ils me regardaient avec étonnement, sans inquiétude, certes et je pense assez fiers et boostés par cette
fureur créatrice.
Marc exécutera plus tard pour entrer dans l’expo organisée en labyrinthe, un portrait en pied des trois
qui ouvrirent la porte en grand au siècle poétique : Baudelaire, Rimbaud, Lautréamont dont on venait
de découvrir enfin un portrait photographique tout près de Tarbes (tiens, tiens…).
Parmi les employés de la FOL il y a une très belle jeune femme. Elle est la fille d’un certain René Verzier
chef opérateur de cinéma. Justement il est dans les parages retour du Canada où il travaille
régulièrement.
Nous avions concocté, à temps perdu, un projet de film intitulé « Les Contes de la Charrette » scénario
basé sur trois contes populaires de l’Aude. Sans grande illusion nous en parlons à René Verzier qui est
deux fois Oscarisé et le chef opérateur quasi attitré de Gilles Carle. René prend négligemment le dossier,
s’enferme dans les WC., en ressort trois-quarts d’heure plus tard et dit très simplement : « On commence
quand ? ». René ne posait qu’une seule condition, c’était de tourner en 35mm. Mais quelle condition,
pour des gens qui étaient bien contents quand ils avaient de quoi manger et de quoi rouler d’une ville
à l’autre !
NOTRE LOCAL À LÉZIGNAN SE BÂTIT
Financièrement cependant, la Compagnie commençait à s’équilibrer et le terrain acheté, les fondations
creusées étaient une espérance de local. Nous avions fait la connaissance de maçons « solidaires »,
ariégeois et très professionnels, qui nous faisaient des prix défiant toute concurrence et qui se mirent à
dresser le lieu comme leur propre maison. Grâce leur soit rendue jusqu‘à la fin de mon temps en tout
cas. Ils sont l’exemple même de ce que la société devrait être.
Je m’isole quelques jours dans un hôtel fermé l’hiver mais qui m’ouvre une chambre à Carnon et je mets
sur papier le découpage intégral des « Contes de le Charrette ». Je ne prends pas le temps de regarder la
mer. On me porte les repas dans ma chambre.
Jean-Michel Ropers fait la connaissance de gens chez Fuji film. Ils nous feront des prix très en-dessous
du commerce pour les négatifs. Nous voulions Fuji, car les noirs sont superbes et les rouge moins
agressifs que chez Kodak. Il n’y a pas de « Grand Canyon » au Japon.
Les discussions commencent avec Marc Peyret concernant les décors et avec Laure Vézia pour les
costumes.
Par ailleurs je contacte Ahmed et Naïma Bouanani. Ils sont d’accord lui pour assurer la direction
artistique et le montage et elle la réalisation des costumes avec Laure.
Moi, de mon côté, j’attaque la distribution qui est fort nombreuse, avec la complicité fiévreuse de Jean-
Michel Roppers qui entre en transes dès qu’on prononce le mot cinéma.
Lorsque les Bouanani nous rejoindront avec leurs deux filles, nous commencerons les repérages des
extérieurs. L’expérience de Ahmed sera d’un grand secours. Entre lui et Verzier le courant passe plus
que facilement, René est né et a grandi au Maroc.
La troupe, moi y compris, découvrons toutes les servitudes de la préparation d’un tournage.
Mais tout grandit ensemble : le local, le film… et, malgré les découragements, les inquiétudes et les
repentirs, nous nageons dans le bonheur, car tout ça c’est de l’aventure. Et de la meilleure.
Ici, petit arrêt du cœur. De son vrai nom Marie-Laure Cathala, Laure Vézia, qui est ma plus jeune sœur,
songe à nous rejoindre. Elle a une solide formation de costumière de théâtre qu’elle ne cessera de
perfectionner. En outre elle est très capable de prendre au vol n’importe quel rôle avec une émotion
immédiate et profonde. C’est quelqu’un de farouchement sincère et indépendant avec une sensibilité à
fleur de peau et des colères politiques très assumées. Aujourd’hui, avec son compagnon de toujours, elle
se bat pour une agriculture biologique et pour un environnement écologique. Sur le terrain et pas dans
les radios et autres fariboles. Elle a pour coutume de dire (je traduis) : « Agriculture et culture sont les
deux remèdes contre la bêtise et l’anéantissement de notre planète ».
Laure va rester de nombreuses années avec nous et sera un des principaux piliers du redressement de la
compagnie.
1982
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