ANTIGONE (Sophocle / Mise en français Jean-Paul Cathala)
La coopération avec le Grenier de Toulouse pour Enowalik a parfaitement fonctionné. Maurice Sarrazin
me reproche même d’être trop modeste : « masochiste… » dit-il, « …vous faites de l’excellent boulot, bon
Dieu ! Tu as des projets ? ». Il y avait les colonels en Grèce et je venais de mettre en français dans le plus
grand retrait Antigone. Je lui en parle. « Montons Antigone. Passe-moi le texte ». Quelques jours plus
tard lui et Henry Long me convoquent, ils proposent une salle pour les répétitions durant tout l’été et
louent pour nous un grand appartement pas loin. Le bonheur.
Malheureusement se placent là plusieurs évènements bien tristes. Jacques Tromeur et moi nous
disputons à propos d’une voiture. C’est stupide et insignifiant. En réalité les problèmes étaient plus
profonds et sûrement plus politiques. C’est la rupture. Aujourd’hui encore j’en ressens une très acide
tristesse. Nous avions tout partagé y compris la pire indigence.
Quelque temps après, Jean-Marie Villette qui devait jouer Créon, et pour des raisons familiales cette
fois, se retire du projet et de la troupe. Je perds un grand ami et un poète.
Jean Dometti s’attèle seul au décor et aux costumes avec son courage et son génie. Ce sera une de ses
plus parfaites réussites au sein de la troupe. Le décor, c’est le mur lépreux de Thèbes fait d’un patchwork
de peaux déclassées qu’on nous donne dans le Tarn. J’ai conservé certains de ses costumes : toujours les
chasubles de tissus noués comme des sculptures molles.
Je suis contraint de prendre au vol le rôle de Créon que je jouerai dans une espèce d’hébétude…
Jean-Pierre Han est extraordinaire dans Tirésias : une véhémence tendue comme une corde d’arc. Les
mots de Sophocle percent la salle. Il y a dans sa recherche d’acteur, quelque chose du côté d’Artaud. Je
sais qu’il n’aimerait pas ma formulation, mais c’est ce que je ressentais : un engagement total dans le
langage. Le corps comme une forge.
Jean-Pierre Rigaud rejoint la troupe. C’est François Soulié qui me le recommande : « Embarque-le », me
dit-il « C’est celui qui a la tête baissée, là-bas, près de la cheminée. Il joue superbement du saxophone.
Je crois qu’il a une tripe de comédien… ». Il restera avec nous plus de vingt ans et deviendra un
magnifique comédien. Mais je reparlerai de lui plus loin, évidemment.
Nous rejoignent également : Michka Samarra qui est l’intelligence personnifiée et savante en toute
simplicité (elle est agrégée de philo ou quelque chose d’approchant). Toujours et partout avec elle sa
sœur Marie-France. La douceur même.
Charles Boda, qui a commencé à dix ans sur les planches. Un ami de Patrick Dewaere. En moins
impétueux tout de même mais tout aussi exigeant. Il avait joué dans « La Reine Morte » le page, je crois,
à la Comédie Française.
Donc, Antigone. Les spectateurs sont accueillis par un monceau de cadavres de soldats (l’œuvre de
Sophocle commence à l’aube d’un lendemain de bataille) sur lequel Charles Boda joue de la guitare
électrique et J.P. Rigaud du saxophone : improvisations très hard. Puis cela commence : des femmes
voilées viennent retirer les cadavres. L’accent est mis sur l’égarement d’Antigone et l’obstination
imbécile et criminelle de Créon. La musique est de Theodorakis.
Après le spectacle des discussions parfois surprenantes s’engagent avec les spectateurs. Beaucoup
d’étudiants du Mirail sont là et nous soutiennent. Nous jouons trente fois au Grenier, alors que l’après-
midi nous jouons « Kapok » rue Rémusat. C’est le luxe : nous mangeons au restaurant chaque soir !
Henry Long est très content : c’est plein dans les deux salles. On aurait pu faire un mois de plus mais la
salle du Grenier est réservée. Le bouche à oreille évidemment car la presse toulousaine n’a pas compris
et butte sur des détails comme toujours. Ah, les détails ! C’est tellement commode… Et puis quoi : cette
troupe régionale, pouah !...
Toujours en 1973
Il y avait alors en France pléthore de ce qu’il était convenu d’appeler : « Jeunes compagnies » c’est-à-dire pauvres. Les
syndicats officiels n’agissaient que pour les très grosses structures et surtout le cinéma, la télévision, etc… C’est pourtant
dans ces jeunes compagnies qu’apparaissaient les vrais nouveaux talents et surtout les talents différents du moule officiel.
Nous étions quelques-uns à ronchonner. Nous nous regroupons régionalement puis très vite nationalement et inventons un
nouveau syndicat spécifique que nous baptisons : « Action pour le Jeune Théâtre » : A.J.T. dont la devise était : « Le théâtre
c’est la vie ». Mishka Samara en sera la porte-parole au niveau régional, c’est-à-dire Midi-Pyrénées. Nous ne nous sommes
pas fait que des amis !
Maurice Sarrazin, qui montait « Galilée » de Brecht m’appelle en rescousse. Il ne parvient pas à
concilier la direction d’acteurs et le rôle de Galilée qui est écrasant. Avec Lise Granvel et Patrice
Cauchetier qui est aux décors et costumes, nous faisons notre possible. Le spectacle restera cinq ans au
répertoire du Grenier de Toulouse et fera un long séjour à Paris.
Sarrazin, décidément infatigable, et également avec Cauchetier, avait monté « Jules César ». Le
comédien jouant Cassius ayant lâché prise, il me demande en 9 jours de mémoriser ce rôle fleuve car il
s’était engagé pour le Festival de Sarlat. Je revois Cauchetier à plat ventre dans les coulisses du Festival,
finissant de coudre l’ourlet de ma toge alors que déjà on entrait en scène sur une musique carnavalesque
de Serge Gainsbourg !
Je revois Albert Assert me suivant comme une ombre. Sans rien me dire, il avait accroché tout mon texte
à l’intérieur de son costume.
Sarrazin jouait Marc Antoine qui a un long accrochage avec Cassius Je revois son regard qui
littéralement me tenait debout.
Des expériences qui vous laissent pantois et plein de gratitude pour ce métier décidément bohème et
généreux.
KAPOK (Jean-Paul Cathala)
Plus ou moins aidés par Le Grenier de Toulouse, mais en parallèle avec Antigone, encore la tentation de
la création collective. Mais avec moins de rigueur, moins d'authenticité que pour La Danse du Soleil. La
physionomie de la Compagnie change. Pour moi, j'éprouve sans doute une grande lassitude. Des
tiraillements internes empêchent ce spectacle d'aboutir. Les enfants assisteront à quelque chose
d'abstrait, de lointain. De fait, ils ne se sentiront pas tellement concernés.
CANEVAS :
Sous prétexte qu'il ne fait plus rire les spectateurs, Kapok, personnage fragile, est renvoyé du théâtre où
il travaille. Avec la complicité de ses camarades il passe pourtant une dernière nuit au théâtre et
s'endort. Commence un spectacle onirique où se succèdent d'étranges aventures. En fait, le rêve de
Kapok est une analyse de son sentiment de l'échec. Possibilité lui est donc ainsi offerte de le surmonter.
Au réveil, c'est un autre Kapok qui ira devant le Directeur du théâtre imposer sa volonté de rester.
DISTRIBUTION :
Nicolas Froment / Josy Miquel / Jean-Pierre Rigaud / Charles Boda / Jean-Pierre Han / Gladys Condé /
Mishka Samarra / Jean-Claude Crédot / Michel Coulet.
Décors et Costumes : La Compagnie
35 Représentations / 17000 Spectateurs.
1973
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