1994
EN ATTENDANT GODOT (Samuel Beckett / Mise en scène : Mario Gonzalez)
C’est une idée de Pierre Margot. Il nous disait toujours à Jean-Michel Ropers et à moi : « Vous devriez jouer dans Godot vous deux ! » Après « La Tempête », après « Œdipe », deux très grosses productions, très lourdes en tournée, économiquement difficiles à maintenir, nous souhaitions un répit sans pour autant faiblir sur la beauté, la profondeur des textes. Nous savions que Mario Gonzales idolâtrait Beckett, le faisait travailler souvent au conservatoire à ses élèves. Nous lui en parlons. « D’accord, je ramasse la couvée » nous dit-il. Nous avons travaillé dans la région parisienne. Des répétitions difficiles. Mario établit des rapports de force très justes entre les personnages, mais ne donne que peu d’indications disons psychologiques. Or, la pièce de Beckett est plus qu’énigmatique. Comme toujours je me protège derrière un rempart de documentations, de livres. Et soudain je découvre que Beckett est venu en France pendant l’occupation allemande. Qu’il s’est réfugié à Roussillon, qu’il connaissait René Char, grand résistant comme on le sait. Que lui-même avait préféré la France en guerre à l’Irlande neutre. Malgré son extrême discrétion, on sait aujourd’hui que Beckett a participé à la résistance. Et soudain pour moi tout s‘éclaire. Profitant d’un répit, nous faisons le voyage à Roussillon. Tout est là : la maison où se planquaient Beckett et Suzanne, sa compagne ; Estragon qui s’appelait de fait Aude (authentique) ; quant à l’enfant (le messager) il a 50 ou 60 ans et nous accueille avec émotion, nous montre des lettres, des photos et nous affirme que tout ce que l’Irlandais dit dans sa pièce est vrai. Même l’arbre qui s’épanouit en une nuit. Il y a en effet à Roussillon un saule célèbre planté je crois par Sully ou quelque chose d’approchant, arbre que l’on croyait mort et qui soudain, pendant l’occupation, aurait redonné des feuilles. On sait par ailleurs que pour survivre Beckett travaillait dans les champs et qu’un certain Pozzo existait vraiment. Cet homme avait paraît-il un passé trouble. Mais oui, tout était là, palpable soudain. Lucky devenait à mesure de notre enquête un partisan torturé et que Pozzo traîne après lui. Pour nous, plus de doute, ce que les deux compères attendent c’est le débarquement tant espéré. Lucky dans son délire douloureux, ne parle-t-il pas à plusieurs reprises de la Normandie ? Jean-Michel Ropers nous dit qu’en Provence il y avait autrefois des projectionnistes itinérants, que les deux compères pourraient être projectionnistes. Et soudain Mario s’illumine : l’enfant qui n’est autre que l’enfance de Vladimir c’est-à-dire de Beckett, serait projeté sur le décor et ce décor reproduirait une parcelle des fameuses carrières d’ocre de Roussillon dont il est également question dans la pièce (le rouge). René Verzier va nous filmer dans ces carrières. L’enfant est interprété par Thomas Charpentier. Mario disait sans cesse que le second tableau est, pour lui, le négatif du premier au sens quasi photographique du terme. Comme une relecture plus abstraite. Le rêve de la première partie en somme. Jean-Baptiste Cleyet alors nous dit qu’on pourrait, au cours d’un entracte fictif, « déshabiller » le décor et on se retrouverait devant le même décor rouge du premier acte, mais entièrement blanc cette fois. Mario exulte. À l’accueil du public, un grand rideau Brechtien barre la scène : les yeux hypnotisants de Beckett. La joie, l’emportement vivifiant de Mario arrachent l’œuvre si célèbre au pathos habituel. On est soudain devant une farce grinçante, l’humour Irlandais se frotte à la bonne humeur provençale. Le public rit beaucoup, se déculpabilise et Beckett s’enracine soudain dans une réalité historique. La deuxième partie de la pièce réputée métaphysique devient une angoisse existentielle compréhensible dans des circonstances difficiles d’une époque précise, douloureuse. Pour finir, Mario fait les deux personnages se défaire de leurs costumes, de leurs postiches comme d’ailleurs le dit le texte. C’est la signature de Mario, ça. C’est Bertrand Dazin qui assurera la lourde tâche de faire fonctionner le projecteur 35mm. Bertrand débutait dans le monde du spectacle. Il me parlait de son désir de devenir danseur. Il était également champion de je ne sais plus quel art martial. Il est maintenant chanteur d’opéra baroque (haute contre), et quel ! Bertrand a tous les dons. Tout de la vie et des arts le passionne. En outre je ne l’ai jamais vu de mauvaise humeur. Joël Brouch nous accueille fastueusement à Villeneuve-sur-Lot et Denis Declercq à Béziers. Nous faisons une tournée magnifique et finirons par les Festivals d’Alès, d’Estagel, de Sarlat…
DISTRIBUTION : Estragon : Jean-Michel Ropers / Vladimir : Jean-Paul Cathala / Pozzo : Pierre Margot / Lucky : Noël Camos / L’enfant : Thomas Charpentier Décors : Jean-Baptiste Cleyet Costumes : Laure Vézia Film : René Verzier Régie : Bertrand Dazin
PETIT LION, MERLE ET MÉDORA (Jean-Paul Cathala)
J’avais écrit plusieurs petits récits, des espèces de nouvelles, des interprétations non insistantes ni moralisatrices de quelques vies animalières. Peut-être à la suite d’une relecture de Louis Pergaud, je ne m’en souviens pas. Jean-Pierre Rigaud, qui était vaquant, me dit : « on pourrait en faire un spectacle ? ». Marc Peyret conçoit un lieu rond très original, tatoué de feuillages joyeux et clairs, dans lequel les enfants pénètrent. Jean-Pierre apporte aux textes sa candeur savante. On ne rit pas aux éclats mais on sourit beaucoup ce qui parfois est beaucoup mieux.
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